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A l’occasion d’un passage à Bruxelles, j’ai eu le plaisir de discuter avec Bertrand Puard. Un moment très sympathique, que je partage avec vous!

Vous avez fait des études dans la finance. Comment avez-vous atterri dans l’univers littéraire?

J’ai atterri dans l’univers littéraire bien avant la fin de mes études dans la finance. Et en fait, j’ai fait ces études parce que je n’avais envie que d’une chose, c’était de créer. Et donc, d’écrire ou de scénariser. Et au moment de faire des choix pour mes études, je me suis dit : « Autant être pragmatique, c’est un métier difficile, qui a une précarité très importante. Donc, en faisant des études de finance, tu pourras, au besoin, lors d’une année un peu moins bonne qu’une autre ou si tu n’arrives plus à vivre correctement de ta plume, trouver un boulot, le temps de voir le mauvais vent passer et de voir venir. » 

Du coup, j’ai fait des études de finance. Je trouvais en plus que c’était une branche multi-disciplinaire dans le sens où il y a à la fois des mathématiques, un peu de littérature, de l’histoire-géo, enfin voilà, on parle de pas mal de choses. Et puis, j’ai toujours eu un appétit pour les oeuvres qui permettent d’explorer notre monde, pas dans un côté anticipation, mais dans le but de faire un peu de perspective de ce que l’on vit. D’ailleurs, L’Archipel se passe en 2019, c’est pas très très loin. 

On est dans un monde qui est très financiarisé, dans lequel on voit pratiquement tout par le prisme de l’argent, et donc j’ai  voulu être économiste aussi parce que cela permet d’étudier ce phénomène, et de pouvoir en décortiquer les mécanismes. Dans L’Archipel, pas encore dans le tome 1 en tout cas, on ne retrouve pas encore beaucoup ce procédé. Mais le tome 2 recèle pas mal de nouveautés à ce niveau. Bon, on sent quand même que l’argent permet beaucoup de choses. Mais dans le tome 2, ce sera encore plus poussé. On va explorer davantage ce réseau d’îles, qui a été créé pour une raison bien précise. On rentrera plus dans le vif du sujet.

Vous avez écrit beaucoup de thrillers, certains se déroulent à Londres, à l’époque de Sherlock Holmes. Une idole?

J’adore Sherlock Holmes! Mon idole, ce serait peut-être plus Conan Doyle, d’ailleurs, en tant qu’écrivain. Mais Sherlock Holmes est un de mes premiers amours littéraires. Quand j’étais adolescent, d’ailleurs, au collège, le midi, j’animais le Club Sherlock Holmes!  On faisait des enquêtes de Sherlock Holmes, on adaptait des nouvelles en pièces radiophoniques qu’on enregistrait pour des malvoyants. Sherlock Holmes, Agatha Christie, Maurice Leblanc et son Arsène Lupin, c’étaient vraiment les trois grands personnages qui ont bercé mes premières lectures aventureuses! 

Vous avez aussi écrit sous les pseudonymes de Brad Winter et d’Ewan Blackshore. Pourquoi?

Je l’ai fait parce que j’avais reçu un prix littéraire avec mon premier roman, Musique de Nuit. Et puis, avec mon éditeur, on a voulu lancer la série Les mystères de la Tamise, qui est complètement différente. C’était du roman à énigme historique, et qui se passait à l’époque de Sherlock Holmes. On ne voulait pas mélanger les deux veines, sous mon nom, pour ne pas tout embrouiller. Donc, on a décidé de prendre un pseudonyme anglo-saxon pour cette série, qui sonne un peu comme le nom des personnages. Et l’autre pseudonyme, Brad Winter, pour une seconde série qui est moins connue: la galerie des mystères. 

Ces dernières années, vous vous êtes tourné vers la littérature jeunesse. Pourquoi ce changement?

Je l’ai fait parce que j’ai eu une idée, un jour, qui a donné Les Compagnons du sablier, une patrouille d’adolescent qui vit dans une ville qui compte un métro du temps. C’est-à-dire que chaque station ouvrait sur une époque historique. Par exemple, la Station Pyramide permettait d’accéder à l’époque de Khéops. Et je l’ai traité comme une littérature jeunesse.

Et j’ai pris goût à ça, notamment pour ce qui est du rapport avec le lecteur. C’est beaucoup plus riche! Les jeunes lecteurs qui viennent sur les salons pour faire signer vos livres, c’est du bonheur! Ils ont un rapport passionnel avec le livre! S’ils ont aimé ce qu’ils ont lu, ils l’ont réellement vécu comme une aventure. Alors que le lecteur adulte est plus blasé, plus détaché, il pose moins de questions. Ce n’est pas du tout le même rapport. Le jeune adulte, il va posséder le livre, il va avoir l’impression que les personnages continuent de vivre en dehors de la période de lecture.

Et puis, ce qu’on ne voyait pas souvent avant dans la littérature jeunesse, c’est du thriller page-turner, mais avec un vrai propos engagé derrière, qui va donner au lecteur des clés pour aller explorer des zones d’ombre de notre société. Dans la série Les effacés, par exemple, j’ai parlé des laboratoires pharmaceutiques, j’ai parlé de la Bourse, de la finance, des paris truqués dans le sport, de la médiatisation à outrance, etc. Les thrillers adultes font leur travail de témoignage de notre époque, par le biais d’actions. On ne voyait pas ça avant en jeunesse. Personnellement, je m’attache plus au côté lanceur d’alerte. Et je trouve que c’est intéressant de donner à nos adolescents ce genre de littérature, qui me semble moins formaté. Plus de liberté pour moi en tant qu’auteur. Parce que les thrillers qui se proposent d’explorer notre monde, avec un vrai propos, il n’y en a pas tant que ça. Je tiens beaucoup, dans mes livres, à ce double niveau de lecture. Un premier niveau qui est de l’action, qui nous donne envie de savoir comment les personnages vont vivre. Et un deuxième niveau qui propose de l’info sur notre société, et que le lecteur, mine de rien et même s’il  n’y réfléchit pas sur le coup, va lire et assimiler. Ce que je voudrais vraiment, c’est que mes lecteurs aient envie ensuite de se diriger vers une littérature plus engagée.  

Pour parler plus spécifiquement de L’Archipel, qui sera en librairie dans 48 heures. Comment vivez-vous cette attente?

Ben en fait, je viens de terminer l’écriture du tome 2 samedi. Donc je suis déjà dans l’attente, puisque mon éditrice n’a pas encore terminé la lecture de ce nouveau tome.

Quand je suis dans l’écriture d’un livre, je fais des périodes très très denses. Je mets beaucoup de temps à préparer mon livre. Ce second tome, j’ai mis 2 à 3 mois pour le scénariser, dessiner les personnages, à me documenter évidemment, à choisir les lieux et les visiter si besoin. Mais par contre, quand tout ça est terminé, quand ma vision d’ensemble est terminée, le livre est écrit en deux semaines. Avec en général un horaire 9h30- 4h du matin… D’ailleurs, là, j’ai de grosses cernes!! (rires). Mais je suis content. C’est un bonheur énorme d’avoir une idée, un embryon, mais que le livre lui-même ne soit pas encore écrit, qu’il soit encore dans ton esprit à l’état d’image uniquement. Et puis d’arriver a l’écrire, et de pouvoir se dire: Ca y est, l’histoire est là! », et de pouvoir la donner ensuite. 

J’ai une chance, c’est de ne pas avoir l’écriture douloureuse.  Je n’ai jamais l’angoisse de la page blanche. C’est pas une prétention de ma part, c’est une véritable chance. Quand je me mets devant ma page, j’écris forcément. Ce n’est pas toujours bon, et donc j’efface. Mais l’écriture vient toujours. C’est comme un flot narratif. C’est-à-dire que je pars sur un chapitre, et je peux l’écrire parfois en trois heures. Parfois, c’est un peu plus laborieux, mais j’ai toujours de quoi écrire. 

Alors que quand je fais mon chapitrage et la préparation de mon livre, je peux passer par des moments atroces Tu bloques! Par exemple, tu veux faire rencontrer tes deux personnages parce que tu sais qu’il va y a voir une scène magnifique, mais tu ne sais pas comment y arriver! Dans ces moments-là, je peux être d’une humeur absolument exécrable, avec mes proches, parce que je n’arrive pas à ce que je veux. Et puis, je vais avoir le déclic à un moment, et là, c’est comme si j’étais sous amphétamines! Mais c’est une période assez douloureuse, la conception. 

D’ailleurs, je rends parfois mon livre à l’éditeur en retard, parce que je pense toujours que je peux mieux faire. Je fais des recherches, et parfois j’en fais trop, et du coup je ne peux plus construire le scénario comme je le voudrais. Alors je fais de gros rushs d’écriture! 

Et là, c’est la période d’inquiétude, parce que j’ai peur que ce ne soit pas bon, qu’il manque quelque chose… Par contre, l’écriture, c’est un bonheur ultime!

En même temps, le rythme de l’écriture donne son rythme à un livre. D’ailleurs, pour le tome 1 de l’Archipel, pour la fin du livre en particulier, tu ne peux pas écrire ça en 6 mois. Je ne pense pas que ça ne donnera pas le rythme voulu. Il faut que le premier jet soit dans cette espèce d’urgence que demande cette histoire. J’ai écrit les 80.000 derniers signes en une nuit, parce que je n’aurais pas pu m’arrêter au milieu! 

Ce thriller repose sur un thème particulier: les sosies. D’où vous est venue cette idée?

Pour une fois, je peux vraiment parler de l’origine de ce livre. Parce que j’ai souvent du mal à resserrer la naissance d’un livre à un élément. L’Archipel, c’est en lisant deux articles de journaux. 

Le premier, c’est un article suisse traitant d’un avocat qui vend des nationalités. Contre dix millions d’euros, tu peux par exemple obtenir un passeport maltais. C’est plus particulièrement pour les cas de grand banditisme ou pour des questions fiscales.  C’est encore une fois l’argent qui peut tout acheter.

Et puis, un autre article sur les sosies qui m’a assez interpellé. Il expliquait qu’en réalité, tous les êtres humains ont 99,9% d’ADN en commun. Les différences qu’on a, physiquement et autres, et qui sont énormes, ne résultent que du 0.1% de différence. Et statiquement, nous avons chacun 4 ou 5 sosies sur terre. 

Et enfin,  j’ai fait une rencontre avec des jeunes de 14 à 16 ans, au centre pénitentiaire de Meyzieu, près de Lyon. C’était assez impressionnant!

Il y a eu une sorte de mélange d’idées qui s’est fait, et c’est comme ça que L’Archipel a été créé.

Vous avez terminé d’écrire le seconde tome. Vous vous lancez directement dans le troisième?

Je vais faire une petite pause avant….  Je n’en faisais pas avant, mais j’essaie maintenant, c’est de faire des ellipses. C’est-à-dire que les personnages vivent des choses sans nous, sans le lecteur et sans l’auteur, et on les récupère après. Ils ont évolué, et ça m’intéresse. Je vais les laisser reposer un peu, et je les reprendrai ensuite. 

J’ai lu votre roman et ai été totalement transportée par l’histoire, au point de penser qu’elle ferait un très bon film. Est-ce en projet?

Je pense qu’il ferait plutôt une très bonne série. Trois tomes, trois saisons, pourquoi pas? Je suis un fan de cinéma, déjà quand j’étais ado. Mais maintenant, je suis un fan absolu de séries. Certaines m’ont bouleversé comme Leftovers, ou Breaking Bad. J’ai plus de plaisir à regarder une série qu’à aller voir un film au cinéma. 

Vous avez déjà d’autres idées, pour de prochains livres?

On va déjà aller au bout de l’Archipel! Et puis, je me verrais bien faire un spin-off, pour utiliser le vocabulaire du cinéma. Le monde de l’Archipel est tellement vaste, notamment cette fameuse organisation R.I.P que vous découvrirez dans le tome 2. Et je pense qu’il y a encore des choses à explorer. 

Une dernière question: thé ou café?

J’adore le thé, mais café, parce que quand je fais mes rushs d’écriture, je carbure vraiment beaucoup au café! J’en consomme beaucoup en règle générale, j’aime beaucoup le bon café. Mais quand je suis en écriture, il m’arrive d’en prendre vers 23h ou minuit! 

Merci beaucoup, Monsieur Puard, pour cette belle conversation!

Voilà mon avis pour L’archipel, qui paraît aujourd’hui!

L’Archipel tome 1: Latitude de Bertrand PUARD