Célébration colorée dans la grisaille de l’hiver 47 jours avant Pâques, Mardi gras possède des origines et un sens qui font l’objet de bien des interprétations. Pourtant, l’histoire de Mardi gras 2018, qui suivra comme chaque année la Chandeleur dans le calendrier et précèdera le Mercredi des cendres et le Carême – demeure méconnue. Mardi gras est passé en quelques siècles de fête païenne marquant la fin de l’hiver à une célébration chrétienne d’entrée dans le Carême, lui-même mis en place au IVe siècle.
Comment est née la tradition ? Depuis quand existe-t-elle ? Est-elle de caractère religieux ou laïque ? Quelles sont les activités qui vont de pair avec cette date ? Ses liens avec le Carnaval et le Carême ? Date, origine, traditions… Voici ce qu’il faut savoir sur cette célébration à la longue et riche histoire.
Date de Mardi gras
Contrairement à beaucoup de journées importantes dans la tradition chrétienne (Noël, Épiphanie, Chandeleur…), la date de la fête de Mardi gras est mobile dans le calendrier, bien qu’elle survienne toujours un mardi, comme l’indique son nom. En d’autres termes, sa position dans l’année évolue tous les ans. Mardi gras est en effet fixé 47 jours avant Pâques. Or, la date de Pâques évolue elle-même chaque année en fonction de critères astronomiques établis par le « comput ecclésiastique », c’est à dire l’ensemble des opérations permettant de calculer les dates des fêtes religieuses mobiles. Les règles ont été établies au IVe siècle. Depuis le concile de Nicée, réuni en 325, « Pâques est célébré le dimanche qui suit le quatorzième jour de la lune qui atteint cet âge au 21 mars ou immédiatement après ». En termes plus simples : Pâques a lieu le premier dimanche suivant la pleine lune ayant lieu après le 21 mars, c’est à dire l’équinoxe de Printemps.
Ce jour survient en outre la veille du Mercredi des Cendres, premier jour du Carême. Dans la tradition chrétienne, le Carême est une période de pénitence calquée sur les quarante jours passés, selon la Bible, par Jésus-Christ dans le désert. Le Carême s’étend du Mercredi des Cendres au Samedi Saint, veille de la fête de Pâques, qui commémore la Résurrection de Jésus-Christ. La période de jeûne chrétienne contient six dimanches et quarante jours de semaine (lundi à samedi), soit 45 jours. Mardi gras est donc le dernier jour précédant ces 45 jours de méditation et de pénitence.
Mardi gras est aussi le dernier jour ainsi que le point culminant du Carnaval, période de festivités et de réjouissances précédant traditionnellement les rigueurs du Carême. Cette période est marquée par des défilés exubérants au cours desquels les participants sont le plus souvent déguisés avec des costumes élégants (comme au carnaval de Venise) ou absurdes (comme à Dunkerque). Le Carnaval est une tradition très ancienne de célébrations précédant les jours « maigres » de la fin de l’hiver, qui s’étendent sur les mois de février et mars, avant le retour du printemps. En tant que dernier jour de cette période, Mardi gras est l’occasion de toutes les fantaisies. De Rio à Nice en passant par Cologne, la Nouvelle-Orléans, Dunkerque, Bâle ou Mayance, déguisements et masques aux couleurs explosives sont de sortie…
Origines de Mardi gras
Mardi gras est le dernier jour du Carnaval. Le mot italien provient du latin « carnis levare » (« ôter la viande »). Il fait référence aux derniers repas « gras » pris avant le Carême (on parlait au XVIIIe siècle de « Dimanche gras » ou de « Lundi gras » avant Mardi gras). Autrefois, cette saison correspondait, dans une société encore majoritairement agricole, à l’une des périodes les plus critiques. En effet, en février et en mars, les paysans puisaient dans leurs dernières réserves de nourriture stockées avant ou pendant l’hiver : la facilité à stocker œufs et beurre a favorisé – au même titre que pour la Chandeleur – la tradition consistant à préparer crêpes et gaufres pendant cette période.
Des rituels païens existaient dans la période proche de mardi gras : ils annonçaient ou célébraient la renaissance de la nature (durée du jour en progression, début du dégel, puis premiers bourgeons…). C’est cette réalité qui était traduite dans le calendrier romain, où le jour de l’an était fixé au 1er mars… D’ailleurs, il a fallu attendre le XVIe siècle pour le que jour de l’an soit fixé au 1er janvier ! Avec l’avènement de la chrétienté et la mise en place de la tradition du jeûne du Carême (au IVe siècle), la fête se transforme en période d’exubérance précédant les rigueurs de l’avant-Pâques.
Au Moyen Age, le Carême correspondait à une période des plus contraignantes pour la population, privée de danse, de fête, de nourriture copieuse, de sexe et de plaisir, relevait l’historien des religions Odon Vallet sur France 2 en 2014. Avant que cette période ne commence, la fête du Mardi gras et son carnaval permettaient notamment d’élire un « pape des fous » et d’inverser l’ordre du monde rationnel en même temps que l’ordre social (les riches pouvaient se déguiser en pauvres, les hommes en femmes…).
La dualité de la période est illustrée par le tableau « Le combat de Carnaval et de Carême » de Bruegel (1559). Sur une place marchande se mesurent deux chars. Le premier est paré : un homme ventripotent enjambe un tonneau, entouré de personnages absurdes et de musiciens. Sur l’autre char, une vieille femme, tractée par des moines et des nonnes. Sur une planche en bois, on remarque des poissons, symboles du Carême (période où l’on s’abstient de viande, hors produits de la mer). Côté auberge (Carnaval), on joue au dé et on se gave de gaufres ; côté église (Carême), les personnages voilés se prosternent…
Déguisements de Mardi gras
C’est dans les communes indépendantes d’Italie que serait né le carnaval tel qu’on le connaît aujourd’hui. Notamment à Venise : dès le XIe siècle, la période précédent le Carême donne lieu à des célébrations encouragées par les autorités, qui y voient une occasion de renforcer l’esprit civique. Les masques apparaissent au XIIIe siècle : ils renforcent l’anonymat et permettent les outrances. Les rôles sociaux sont inversés, les jeux et amusements renforcent l’animation des quartiers. La tradition italienne essaime, notamment en Europe médiane (Suisse, Allemagne de l’Ouest, Belgique, nord de la France) puis aux Amériques. Aujourd’hui, tous les déguisements sont permis. Parmi les plus fréquents, ceux issus de la Commedia dell’arte, un genre de théâtre populaire italien apparu à l’époque moderne. Arlequin, bon vivant, porte un costume rapiécé de multiples couleurs, le vieil obsédé Pantalon se balade lui avec des bas moulants, affirmant sa virilité. Quand au grossier Polichinelle, il se distingue par son ventre proéminent et sa voix de fausset… Ces costumes, conçus au XVIe siècle, permettaient aux personnages d’être immédiatement reconnaissables pour le public, peu importe la troupe de théâtre ou le lieu de représentation… A cette période de l’année et en mémoire de cette tradition, les magasins proposant des costumes sont pris d’assaut.
Traditions du Mardi gras
Si la fête est le point commun à Mardi gras dans de nombreuses parties du monde, les traditions diffèrent. A Dunkerque, Mardi gras est le dernier jour des « 3 joyeuses ». Pendant ces journées, les « Bandes » (orchestres) et Géants s’ébrouent dans les rues tandis que l’on jette des harengs depuis le balcon de l’Hôtel de Ville. A Nice, le carnaval est marqué par la tradition de la bataille de fleurs. Et dans les écoles de France, c’est aussi l’occasion de faire la fête !
En Allemagne, de nombreuses villes comme Mayence ou Cologne cultivent des traditions exubérantes. Ainsi, à Cologne, le jour de Mardi gras, des parades s’ébranlent dans les différents quartiers, tandis que des humoristes raillent les politiciens sous les tentes à bière. On brûle aussi un homme de paille. Plus loin de nous, à La Nouvelle-Orléans, Mardi gras est l’occasion de défiler de 8 heures du matin à minuit. Parades déguisées, jets de colliers de perles et fanfares animent la ville autrefois française. A Rio de Janeiro, les écoles de danse défilent au célèbre Sambodrome, sous les yeux de dizaines de milliers de spectateurs…
A Mardi gras, les bugnes sont de sortie ! Appelées « merveilles » dans le Sud-Ouest, ces beignets tirent leur origine d’une spécialité culinaire du duché de Savoie. Celle-ci a fini par s’étendre dans la région de Lyon. Pour célébrer Mardi Gras, ces petits beignets sont devenus les rois de la fête. Dans la sixième édition du Supplément au Dictionnaire de l’Académie française (1835), les bugnes sont décrites ainsi : « Il se dit, dans quelques villes du midi de la France, d’une pâte faite avec de la farine, du lait et des œufs, que l’on roule en forme de boudin en l’entrelaçant, et que l’on fait frire à l’huile. » Des beignets un peu différents qui se dégustaient déjà dans la Rome antique au moment du carnaval(dites « chiacchiere » en italien).
Mais pourquoi se régale-t-on de merveilles, bugnes et autres beignets (mais aussi gaufres, crêpes et churros) à Mardi gras ? Dixit Nadine Cretin, historienne des fêtes interrogée par Madame Figaro, manger en abondance est traditionnellement d’usage à la veille du jeûne du Carême mais aussi du retour du printemps, avec un « festin qui comprenait viandes et bouillons gras et se terminait par des pâtisseries simples à faire : des crêpes ou des beignets, des bugnes lyonnaises, des merveilles d’Aquitaine ou des gaufres. Il sous-entendait la prospérité, la fertilité, le retour de la lactation dans les étables et les bergeries, le renouveau de la nature ».